Voyager chez soi en temps de pandémie

Je marchais dans les rues oubliant totalement les nombreuses années que j’ai vécu ici, je redécouvrais ma ville comme si je venais d’y emménager. J’ai ouvert l’oeil aux détails que je n’avais jamais remarqués jusque là. J’ai commencé à saluer mes voisins, à discuter avec le propriétaire du commerce du coin et à questionner les nouveaux arrivants sur ce qui les avait amenés jusqu’ici. À travers leurs yeux je redécouvrais ma région.

Avons-nous déjà tenté de marcher dans notre pays avec notre regard curieux de voyageur?

Quand on me dit Bali, j’ai l’odeur de l'encens qui plane sur l’île des yeux qui me revient. Le souvenir du goût du tempeh frit cuisiné par la dame au warung du coin et le son des motos qui résonne dans la ville.

Le Mexique quant à lui me rappelle le chaos, la frénésie, la vida loca! Le son des corridos mélangé aux cris du marchand de rues & du vendeur de bolillos qui font leur tournée matinale.

« BOLILLOSSSS CALIENTITOSSSS! »

Mes papilles ne font que saliver rien qu’à penser aux quesedillas de flor de calabaza de ma voisine. L’odeur de la tortilla qui montait jusqu’à ma fenêtre en fin d’avant-midi alors que je faisais du yoga dans mon salon.

Tahiti me rappelle la musique des îles, le son du to’ere qui résonne dans la vallée, le goût du uru et du fē'i au petit déjeuner. Je ressens encore l’humidité qui se dégage de la nature luxuriante de la vallée de Papenoo au petit matin et le soleil d’après-midi réfléchissant sur l’eau cristalline du lagon de Moorea.

Dès que l’on se retrouve en terrain inconnu, nos sens s’activent & s’amplifient. Le moment présent nous enveloppe, il réveille nos sens qui étaient restés presque en torpeur jusque là. La nouveauté nous fait sortir du pilote automatique, nous devenons alertes et émerveillés.

"No one realizes how beautiful it is to travel until he comes home and rests his head on his old, familiar pillow." - Lin Yutang

Le voyage a certes, ce pouvoir de nous réveiller, mais est-ce sur une longue durée? Qu’en est-il lorsque nous rentrons au bercail? Que le son de la mer est remplacé par le bruit du trafic un lundi matin, et que les pancitos du déjeuner redeviennent des rôties au beurre d’arachides et un café noir?

Alors que nos sens ont été excités durant des semaines ou des mois à l’étranger, notre environnement, à notre retour, nous semble inchangé, voire ennuyeux. Nous retombons dans la routine comme si nos derniers mois d’aventure n’avaient été qu’une parenthèse. Nous sommes de nouveau aspirés dans le petit train quotidien.

Est-ce vraiment tout ce qui reste de notre voyage?

Est-ce vraiment tout ce qui reste de nous ? Un retour à la case départ?

Faut-il repartir pour revivre cet éveil ? Cet état d’esprit clair et allumé?

Ne serait-il pas possible de retrouver au quotidien cette curiosité ressentie lors de notre première virée à Baja California?

Mis à part un changement d’environnement, qu’est-ce que le voyage si ce n’est qu’un état d’esprit, une curiosité face à la nouveauté?

Un lac frais, nappé d’une brume matinale peut-il nous apporter la sérénité d’une séance de yoga en bord de mer au Costa Rica?

Voyageur est celui qui apprécie l’odeur chaleureuse des bagels sur la rue Saint-Viateur même après y avoir vécu plusieurs années.

C’est celui qui remarque le charme de la rue Drolet et de ses petites maisons colorées vingt ans plus tard.

C’est celui qui se laisse encore impressionner par nos lacs calmes à l’eau fraîche du Québec.

Celui qui fête le retour des couleurs chaque automne. Celui qui court jouer dehors à la vue des premiers flocons.

Celui qui ressent autant de plénitude en contemplant un ciel étoilé des Laurentides autour d’un feu qu’en regardant du haut d’un hublot pour la première fois.

Voyageur de la vie est celui qui garde ses yeux d’enfant, son regard émerveillé, et ce, peu importe son nombre d’années de vie.

Et si la situation actuelle du monde nous permettait enfin de ralentir et de voyager chez soi comme en soi?

Et si ce temps incertain faisant renaître notre curiosité cachée et nous amenait à marcher chez soi comme dans les ruelles du Kenya?

Voyager chez soi, c’est discuter en espagnol de son pays d’origine avec le propriétaire péruvien d’un petit commerce.

C’est se transporter vers le sud à travers les saveurs caribéennes d’un plat typique du restaurant jamaïcain.

C’est apprendre une nouvelle langue, visiter de nouveaux quartiers, goûter de nouveaux plats, faire de nouvelles activités, bref, dire oui à l’inconnu, peu importe que celui-ci se trouve au coin de la rue ou à dix-mille kilomètres d’ici.

Bon voyage

xx

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