Quand l'image prend le dessus sur nos voyages

À tous mes amis des années quatre vingt dix,

Êtes-vous comme moi lorsqu’il s’agit de réfléchir à votre enfance ? Ressentez-vous cette reconnaissance infinie d’avoir pu grandir et consolider votre identité avant que l’image devienne quelque chose d'omniprésent et de prioritaire sur qui vous êtes réellement ?

Au risque de sonner un peu vieux jeu, je ne peux pas vous énumérer toutes les fois où je réfléchi à la chance que nous avons eu de passer avant la montée des réseaux sociaux. Y avez-vous déjà pensé ?

Notre enfance à nous, elle est privé, dans les albums chez nos grands parents, ou sur des cassettes de magnétoscope dans les coffres forts de notre famille proche. J’ai parfois un malaise à voir de jeunes enfants sans arrêt dans les story Instagram de gens que je ne connais pas… comme si j’avais l’impression de ne pas mériter le privilège de voir tout cela et que ce sont des instants précieux qui, dans ma tête, devraient rester privés afin de conserver leur valeur.

Je réfléchis souvent sur le fait qu’à notre adolescence, l’habillement et l’apparence n’ont jamais été si importants que ça, du moins dans la ville où j’ai grandi, on se démarquait autrement. Je  n’imagine pas ce que ça doit être de devoir consolider son identité en tant que jeune adulte dans un monde où l'image est ce qui prône. Quel défi cela doit être…

J’ai commencé à voyager en 2012 et j’ai vu l’impact direct de la montée des réseaux sociaux sur la façon que les gens ont de voyager. À l’époque, il était plutôt rare de voir des gens sur leur ordinateur portable ou cellulaire dans les espaces communs des auberges, c’est probablement la chose qui me frappe le plus.

J’ai cessé de fréquenter les auberges jeunesse environ en 2015, après quoi j’ai privilégié davantage les pensions chez l’habitant ou les appartements à louer. En 2018, j’ai fais affaires avec des auberges de jeunesse dans le cadre de mon métier de photographe et j’ai été frappé par le changement. J’ai passé quelques jours au Selina pour un contrat et j’étais fasciné de voir le nombre de séances photo (d’amis avec des iPhones) qui se donnait sur la terrasse…


Je n’ai pu m’empêcher de me questionner…

Dans un monde où nous devons constamment nous mettre de l’avant, prouver notre valeur via l’image, chercher l’approbation d’une communauté fictive au dépend du moment présent, que reste t-il de nos voyages ?


Quelques Jpeg, est-ce cela ?

Nous venons d’un monde ou la croyance selon laquelle nous devons constamment prouver notre valeur devient la norme. Continuellement déballer les moindres détails de notre existence et vivre avec cette pression constante de devoir prouver au monde entier que nous en valons la peine et que nous vivons une vie excitante.

Cela m’attriste de réaliser que le voyage a été pris d’assaut par cette croyance.

Car le voyage réel est tout sauf ce qui est considéré sexy à l’heure actuelle. Il se met difficilement en image car il faut le ressentir profondément pour être capable de l’illustrer. Or, le ressenti requiert du temps, de la connexion avec autrui, une curiosité saine dénuée de toute tentative d’appropriation bref, tout ce qu’un individu qui passe en coup de vent ne peut réussir à toucher réellement et encore moins à le mettre en image.

D’ailleurs, pourquoi voyageons-nous aujourd’hui ?

Est-ce réellement pour soi ?

Est-ce par curiosité de découvrir réellement ce que le monde a à nous offrir ?

Ou est-ce plutôt pour tenter de reconstituer de belles images diffusées en ligne ou de toucher à cet aura de liberté et de bonheur qu’on nous laisse miroiter de tous les côtés ?

Et si cette image n’était qu’une illusion ? Car c’est ce qu’elle est et quiconque reste suffisamment longtemps dans un pays sait que les images populaires sur ce dernier sont truquées, rognées et amplifiées.  Courir après la version réelle de celles-ci ne fait guère plus de sens que de voyager avec un film devant ses yeux.

Vivre nomade, et après?

Comme l’âne focusser sur sa carotte, le voyageur qui coure après cette image de rêverie, est aveuglé à tout ce qui se trouve devant lui. Son focus se concentre sur ce qu’il croit être le rêve ultime à atteindre, sur tout ce qu’on lui a fait miroiter, sur cette poudre aux yeux avec laquelle on l’a aveuglé à la beige réalité.

Pour vivre réellement un pays, il faut apprendre à oublier.

Oublier les images que l’on nous fait miroiter.

Oublier les concepts que l’on tente de nous vendre.

Oublier tout ce qui semble être un conte de fée pour se rapprocher de la réalité.


Ce n’est pas facile à faire, mais nous devons apprendre à nous débarrasser de ces futilités pour pouvoir toucher ce qui est profondément important et vrai. Retirer ces voiles et ces filtres afin de nous laisser toucher par la réelle beauté de notre monde.

Une beauté qui nous touche.

Une beauté qui nous émeut.

Une beauté toute sauf à l’image parfaite.

Une beauté qui nous change, qui nous met face à nous-mêmes, qui nous confronte.

Une beauté qui nous rend inconfortable.

Une beauté tellement plus riche que celle qui nous conforte et nous flatte dans le sens du poil en nous répétant à quel point nous sommes parfaits “just the way we are”.. cause guess what, perfection doesn’t exist.


Et si nous cessions de nous faire berner par ceux qui projettent l’image d’une vie parfaite? Car une vie sans travail, sans engagement social, sans implication pour autrui est-ce réellement cela à quoi nous souhaitons aspirer ?

Et si nous cessions de mettre sur un piédestal ceux qui contribuent à faire croître l’illusion que la vie est facile, toujours rose et ne nécessite aucun effort ?

Et si nous valorisions plutôt la vérité ? La simple et ordinaire réalité.

Et si, plutôt que de voir la beauté qu’à travers l’illusion, nous vivions notre expérience entièrement, afin de percevoir la beauté dans chaque épreuve, chaque personne et chaque expérience que nous traversons pleinement?

Et si nous apprenions à vivre la beauté à l’intérieur de nous ?

Peut-être deviendrons-nous insensible à cette image faussée de ce futile conte de fée et pourrions-nous enfin, vivre dans la réalité.

Une réalité juste, imparfaite et vraie.

Une réalité remplie de beautés non-fabriquées.


Partagez moi vos ressentis face à cette réflexion dans la section ci-dessous, je prendrai le temps de lire chacun de vous.

 

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